La bande dessinée : un art sous-estimé?

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ENTREVUE  • MARS 2021

Body Ngoy, bédéiste.

 
 

Mon parcours

Originaire de la République démocratique du Congo, j’ai immigré au Canada en 1992. Après avoir complété ma dernière année d’études secondaires à Toronto et mes études en économie à l’Université d’Ottawa, j’intègre le marché du travail.

Adepte et amoureux de la formule des entreprises sociales et solidaires, je fonde la Coopérative Franco-Présence en 2003. Son mandat était de favoriser les liens interculturels entre les communautés issues de la diversité et les communautés francophones et francophiles caucasiennes établies dans l’Est ontarien.

Très engagé dans ma communauté au cours des deux dernières décennies, j’ai participé à différentes initiatives et travaillé dans des organisations communautaires en Ontario comme administrateur.

Récipiendaire du Top 25 des immigrants au Canada en 2009, je suis l’un des membres fondateurs de la coalition des Noirs francophones de l’Ontario (CNFO).

Je me suis également impliqué dans la vie politique en travaillant pour le regretté Honorable Mauril Bélanger de 2006 à 2009 et plus tard, de 2016 à 2020, à la circonscription d'Ottawa-Vanier à titre d’adjoint de l’Honorable Mona Fortier, en tant que spécialiste des dossiers de l’immigration canadienne.

Je suis l’auteur de six bandes dessinées, que je considère comme des outils au service de l’éducation et de la sensibilisation. Présentement, je suis conseiller principal chez BoXia.

MES SITES

1. Depuis quand est-ce que vous faites de la bande dessinée?

Depuis 2008, lorsque j’ai publié ma première bande dessinée, les Quattro francos.

2. Parlez-nous de votre parcours : qu’est-ce qui vous a emmené dans cet art?

Quand j’avais sept ou huit ans à Kinshasa, je dessinais déjà. J’étais un fan de bande dessinée, comme Tintin, Astérix et Obélix, Eddy Merckx, Spirou, Lucky Luke… Ensuite, je me suis ensuite dirigé vers les sciences, puis l’économie. Je suis revenu vers ma passion un peu plus tard, mais en ayant perdu ma petite touche de dessinateur en herbe qui se développait à peine.

Aujourd’hui, j’ai décidé de m’y consacrer entièrement. J’aime la conciliation de l’écrit et de l’image parce que je trouve qu’elle contribue grandement à véhiculer ma mission centrée sur l’éducation et la sensibilisation. J’adhère complètement à l’idée selon laquelle « Une image vaut mille mots ». Lorsque je parle de la diversité, des symboles patriotiques qui nous unissent ou même des villes canadiennes dont je veux montrer la beauté, c’est bien de pouvoir compter sur l’image.

Je suis d’ailleurs très exigeant avec mes dessinateurs et je travaille de très près avec eux pour leur partager mes idées et leur expliquer ce que je veux, car je crois à l’impact des images. Je sais notamment qu’en mettant deux personnes noires en couverture de ma 5e bande dessinée, Le Canadien, les réactions seront différentes, sans doute plus négatives pour certains. Mais c’est un bon test.

3. Parlez-nous des différentes étapes de création d’un album de bande dessinée.

Précisons que je suis un auteur de bande dessinée et non un bédéiste. Dans la création de mes bandes dessinées, je suis le concepteur du projet et des personnages, le scénariste et le directeur artistique. Les dessins sont généralement réalisés par des bédéistes que je dirige dans le processus de création.

Depuis ma première BD en 2008 jusqu’à la sixième, j’ai travaillé avec trois bédéistes du Québec, dont deux Montréalais et un Sherbrookois.

La durée de la création d’un album de BD dépend de plusieurs facteurs, à savoir le besoin personnel ou collectif, les finances disponibles, l’urgence de sensibiliser ou d’éduquer, les exigences des partenaires, le momentum, etc. Ça peut varier de quelques mois à deux ans dans mon cas. L’an dernier (2020), j’ai publié deux bandes dessinées et un document illustré des capsules BD « Comics trip ». Dans mon cas, la conception et la création des personnages passent avant la rédaction du scénario.

Voici en gros les étapes de la création d’une bande dessinée :

  1. Conception du projet, personnages et écriture. (Body)

  2. Validation du scénario, découpage. (Body et dessinateur)

  3. Recherches graphiques. (Body et dessinateur)

  4. Conception d'un dossier, validation et acceptation (BoXia et éditeur)

  5. Crayonnage (Dessinateur)

  6. Encrage, mise en couleur et ombrage. (Dessinateur)

  7. Révision linguistique et mise en page

  8. Impression. (Éditeur ou BoXia)

  9. Diffusion et distribution. (Éditeur ou BoXia)

4. Quels sont les principales thématiques que nous pouvons retrouver dans vos publications?

  • Présenter le Canada comme une terre d’opportunités et de liberté, un endroit où on accueille bien les immigrants, même si on peut toujours faire mieux. C’est ça que j’ai fait dans la série Le rêve canadien. Je voulais encourager les gens à aimer, connaître et servir le Canada.

  • Favoriser le rapprochement entre les communautés issues de la diversité et la majorité blanche franco-canadien.

  • Démontrer la richesse dans la valorisation de la diversité culturelle franco-ontarienne.

  • Se servir de l’histoire des Noirs pour rendre évident, les contributions, la valeur ajoutée et le leadership des afro-descendants au Canada et ailleurs dans le monde. Il s’agit de l’éveil de conscience et de l’affirmation des communautés noires.

5. Quels sont vos défis en tant qu’auteur de bande dessinée dans un contexte linguistique minoritaire?

Je me considère comme un écrivain engagé. C’est mon implication communautaire qui m’a conduit à écrire. Elle m’a ouvert les yeux sur l’importance d’éduquer et de sensibiliser les populations à la prise en charge des minorités francophones en Ontario.

Ainsi donc, j’encourage fortement le rapprochement entre les deux composantes de la francophonie ontarienne, notamment les communautés issues de la diversité et la francophonie dite de souche. Aussi, dans mes bandes dessinées, je mets en lumière les forces des communautés noires, les valeurs communes et rassembleuses à l’ensemble des francophones de l’Ontario et de leur collectivité.

6. Selon vous, quelle place est-ce que la bande dessinée occupe dans le paysage littéraire de manière générale?

La bande dessinée occupe une place de choix sans aucun doute. Comparativement à d’autres genres littéraires, la BD demande moins de concentration au lecteur qui peut comprendre une situation juste en regardant l’image; d’où l’importance de soigner les dessins puisque c’est la première chose que le lecteur regarde. Les gens aiment les belles images, elles viennent toucher une corde sensible.

De plus, la bande dessinée permet d’utiliser l’humour, ce qui est important quand on traite de sujets sérieux dans le cadre de la sensibilisation et de l’éducation.

7. Que répondez-vous à ceux qui la considère comme un « sous-art » ?

Ils ont complément tort! La bande dessinée est le 9e art. Elle répond à un ensemble d’exigences artistiques irréfutables, dont une œuvre d’esprit axée sur la représentation concrète à la fois du réel et de l’irréel (la fiction). Pour votre référence :

Le neuvième art est une expression qui fut créée en 1964 par Morris, le créateur de Lucky Luke, et par Pierre Vankeer. C’est un art à part entière, au même titre que le cinéma, la photographie, le dessin, etc.

8. Comment voyez-vous l’avenir de cet art auprès des prochaines générations ?

Très prometteur! Bien sûr pour ceux et celles qui savent comment s’en servir pour continuer à peintre nos sociétés et notre humanité de manière créative, originale et plaisante. Les bédéistes qui savent bien combiner des beaux dessins et des belles histoires (scénarios intéressants) sont extrêmement sollicités pour différents projets, allant de simples illustrations aux dessins animés, en passant par des albums de BD.

En outre, de nos jours, la bande dessinée est beaucoup utilisée comme un des outils efficaces pour sensibiliser les gens dans presque tous les domaines. Dans mon cas, je citerais l’exemple de mes sollicitations en éducation, dans la lutte contre le racisme et la discrimination, la transmission des connaissances de base sur la loi et le système juridique, etc.

9. Quelles sont les débouchées dans le métier?

Il y en a quelques-unes. En effet, on peut travailler dans les milieux traditionnels (journaux, magazines, publicité, édition de livres, etc.), dans le domaine des médias traditionnels (télévision, cinéma, production audiovisuelle éducative ou corporative, vidéoclips) ainsi que dans les nouveaux médias (jeux vidéo, productions multimédias sur support, spectacles multimédias, cinéma 3D ou bien la web animation).

10. Avez-vous des projets?

Cette année, mes partenaires et moi-même travaillons sur deux différents projets de bande dessinée. La création d’une série de capsules BD « Comics strip » comme outils pour la lutte contre le racisme et la discrimination ainsi que la finalisation de la 2e partie de la bande dessinée sur l’histoire franco-ontarienne de 1610 à nos jours.

La bande dessinée franco-ontarienne sera bonifiée par une version motion comic. En 2023, je devrais être en mesure de publier le premier Tome officiel de la bande dessinée Le Canadien. Entre ces trois projets, je suis en train d’écrire un essai sur une longue chronique sociale, fidèle à ma mission.

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