PAROLE À L’AUTEURE KARINE BOUCQUILLON

ENTREVUE • novembre 2022

Karine Boucquillon

 

1. Bonjour Karine et bienvenue sur notre blogue, comment allez-vous?

Bonjour Madame, je vais très bien et vous? Ravie d’intervenir sur votre blogue.

2. Vous faites désormais partie des auteurs de la maison d’édition et nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Comment avez-vous vécu cette première expérience ? 

Quel honneur de faire désormais partie de la famille Terre d’Accueil. Non seulement cette parution est-elle une première pour moi, un rêve de plusieurs décennies moi qui n’avait, auparavant, publié qu’à compte d’auteur. L’expérience fut très unique et très professionnelle, je me suis sentie accompagnée et guidée à chaque étape du processus, depuis la signature du contrat d’édition, en passant par les corrections en plusieurs étapes, le choix de la couverture, les photos et j’en passe, jusqu’au résultat final qui me plaît beaucoup.

3. Souviens-toi des femmes de Turtle Island, votre roman, paru cet automne jette un regard d’immigrante sur les femmes autochtones. Pourquoi avoir choisi cet angle?

En immigrant au Canada en 2005 – une terre où je suis née mais où je n’ai vécu que quelques mois – je fus choquée de découvrir que mes enfants, âgés de 14 et 15 ans à l’époque, ne recevait aucun cours d’histoire sur les peuples qui ont vécu sur ces terres depuis des dizaines de milliers d’années voire plus. En tant qu’Européens, nous sommes nos propres autochtones, comme tant d’immigrants-es au Canada, nous vivions là où nos ancêtres ont vécu depuis des centaines de milliers d’années. Si vous demandez à une personne originaire de l’Inde si l’histoire de son peuple a débuté avec la colonisation britannique, elle vous répondra que « non» bien sûr, leur culture étant vieille de millions d’années. Si vous demandez à une personne d’origine congolaise si son histoire a débuté avec la colonisation belge, elle va vous répondre de la même manière. Si une personne d’origine vietnamienne vous raconte l’histoire de sa civilisation, il en sera de même. Pourquoi n’enseignons-nous pas au Canada l’histoire du passé de cette terre d’accueil? Culpabilité? Déni? Quels sont les matières des cours d’histoire enseignées aux enfants au Canada? En Europe, les cours d’histoire nous enseignent d’où nous venons, depuis les premiers signes d’une existence humaine, de l’âge de la pierre à l’âge du feu, les civilisations successives qui ont envahi l’Europe, Perses, Turques, Ostrogoths et Wisigoths, la civilisation égyptienne, la Grèce antique, les Romains et j’en passe. Nous sommes enseignés sur nos racines et les influences que nous avons subies.

Vous me posez la question du choix de mon regard sur les femmes autochtones. Les femmes autochtones étaient considérées, dans leur culture, comme les égales des hommes. Cet aspect m’a en lui-même fasciné! Elles étaient consultées pour toutes les décisions concernant leurs communautés. Les aînés-ées étaient eux-elles également consultés-ées pour leur savoir, leur expérience de vie et leur sagesse. Nous vivons aujourd’hui dans un monde qui se prétend évolué mais où la femme n’est pas considérée comme l’égale de l’homme, quoiqu’on en dise, un monde dans lequel elle doit se battre pour occuper des postes-clés dans la société et y être respectée. Nous avons beaucoup à apprendre des cultures traditionnelles, du rôle qu’y exerçaient les femmes et les aînés-ées. Ce dernier sujet me touche particulièrement, puisque je m’occupe quotidiennement et depuis plus de huit ans de ma vieille mère qui perd un peu la tête. A cet égard, je suis choquée par la façon indigne dont les personnes âgées sont délaissées par leurs proches. Si l’humanité se mesure au traitement qu’on réserve, dans nos civilisations « évoluées » d’Occidentaux privilégiés, à nos aînés-ées et aux femmes, le résultat est très inquiétant!

4. Votre héroïne est une femme, mère célibataire et professeure d’université dont le roman tant attendu suscite un engouement sans précédent dans le milieu de l’édition. Quels aspects de la vie de votre personnage vous rejoignent ?

Mon héroïne ainsi que les différents personnages féminins du roman expriment toutes une certaine facette de moi. Dans le même temps, j’ai essayé de me mettre dans la tête et le cœur d’une femme qui n’est pas moi et dont les origines sont aux antipodes des miennes, mais dont la culture traditionnelle est matriarcale et matrilinéaire, une société dans laquelle les femmes et les aînées étaient prises en considération et respectées.

Mon personnage fait lever en moi la nostalgie d’une vraie et profonde solidarité féminine, une sororité forte et invincible, qui est à mon sens l’unique issue aux défis graves de notre planète. Notre monde est encore largement mené par les hommes, dont la quête de pouvoir et d’argent détermine souvent les choix et les décisions. Nous manquons de femmes intègres, ayant un réel pouvoir, à la tête du monde.

Force est de constater que mon héroïne et moi vivons les mêmes combats dans la civilisation d’aujourd’hui : le harcèlement moral, la discrimination, les remarques sexistes… Je suis consciente d’être issue d’une génération de femmes qui a encore beaucoup subi en silence sans avoir su véritablement se défendre et sans avoir su vers qui se tourner, malgré les avancées des mouvements féministes. Ce qui fait peur, c’est que l’histoire nous prouve qu’on peut revenir en arrière d’un claquement de doigts. Les acquis peuvent être soudainement enterrés.

Ce qui m’a personnellement aidée tout au long de ma vie, est de mettre des mots sur ce que j’avais vécu, des mots écrits noir sur blanc, la parole étant plus difficile à libérer. Ce processus de prise de conscience s’est produit pour moi grâce à la rédaction de mon autobiographie non publiée à ce jour.


5. Quel accueil pensez-vous que votre livre recevra auprès du public canadien?

Une fois qu’une œuvre est publiée, elle ne nous appartient plus, elle vit sa vie. Mais j’espère qu’elle rencontrera des femmes et des hommes qui se questionneront sur l’histoire des peuples qui ont occupé cette terre qui nous accueille depuis des temps immémorables, qu’elles-ils auront goût de découvrir quels étaient les articulations de cette civilisation, le fonctionnement de leurs communautés, la place que les femmes et les aînés y occupaient. Il faut recréer des ponts avec ce passé. Je travaille avec des immigrants-es de toutes origines qui se reconnaissent dans l’histoire de cette terre, une histoire si riche et si longue bien antérieure à la colonisation et à l’immigration qui s’en sont suivies.

6. Nous souhaitons le même succès à votre livre à l’instar de celui de votre héroïne.

Merci beaucoup, je le souhaite ardemment aussi. Les thèmes abordés dans mon roman pourraient avoir un écho plus significatif dans la société post-covid d’aujourd’hui. Avec leur vie mise sur pause durant plus de deux ans, de plus en plus d’individus se sont interrogés sur le sens profond de leur existence, sur leurs rapports à leurs histoires personnelle, familiale et culturelle et dans ce sens, mon roman arrive à point nommé.

7. Que souhaitez-vous que les lecteurs et lectrices retiennent de votre roman?

Peut-être matière à de nouvelles réflexions. Le grand avantage de la fiction, est qu’elle permet de dire l’indicible par le biais de nos personnages. C’est grisant.

8. Avez-vous des projets d’écriture pour l’avenir ?

Oui, j’ai déjà un autre projet d’écriture en cours. Un roman autobiographique.

Merci Karine pour votre temps.

Merci à vous également!

Vous pouvez retrouver Karine sur ses comptes Facebook et LinkedIn

 

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